Les cachotteries du Groupe SOS

Le 20 octobre 2011

Dans son domaine, le Groupe SOS, géant français de l'entrepreneuriat social et de la lutte contre la drogue, soigne son image de héraut des temps modernes. Jusqu'à en faire oublier quelques réalités peu reluisantes. Enquête.

En France, le Groupe SOS et ses 4 000 salariés passent pour le champion de l’entrepreneuriat social, acteur historique de la lutte contre la toxicomanie ou le logement précaire. Un industriel de l’aide sociale qui prend grand soin de son image.

Au mois de juin dernier, la chaîne LCP diffusait un documentaire hagiographique tout à la gloire du patron du groupe SOS, sobrement intitulé Jean-Marc Borello : ni Dieu, ni maître, ni actionnaire. Notre enquête sur l’ensemble de cette entreprise, qui regroupe près de 200 entités, montre cependant une autre facette, moins nette. Le groupe y apparaît comme un as du marketing dans le secteur de la misère sociale, pêchant parfois par opacité. Jean-Marc Borello conteste vivement cette critique, comme il nous l’a exprimé lors d’une interview particulièrement animée et que nous diffuserons dans les prochaines heures.

À en croire le site du groupe SOS, « des contrôles réguliers exercés par les pouvoirs publics ont témoigné du professionnalisme et de la transparence financière du Groupe SOS et au-delà, du choix des pouvoirs publics de faire de nos associations des partenaires privilégiés. » Et de citer ensuite des extraits de rapports pour prouver la véracité de ses dires.

Première offensive de la Cour des Comptes en 1998

Effectivement, les audits de 2009 sur deux de ses associations, JCLT (accompagnement de publics en difficulté) [pdf] et Crescendo (crèches et haltes-garderies) [pdf], faits par l’Inspection Générale de la Ville de Paris (IGVP), sont très positifs. Mais plus bas, on tombe sur d’autres rapports, nettement moins élogieux.

En 1998, la Cour des Comptes publie un rapport [pdf] relatif au dispositif de lutte contre la toxicomanie. Une partie est consacrée au contrôle de l’emploi des crédits publics, en prenant exemple sur trois associations, dont SOS Drogue Internationale (SOS DI), la structure « mère », fondée en 19841

Voici l’extrait qu’en a retenu le Groupe SOS pour son site : « Son expansion a été encouragée par les pouvoirs publics qui l’ont d’ailleurs sollicitée à plusieurs reprises pour reprendre la gestion d’associations en difficulté ou en voie de disparition ou pour mettre en œuvre des expérimentations. » OWNI, qui a lu tout le rapport, a sélectionné d’autres passages (pp. 102-104) :

Puissante et influente, l’association SOS DI agit souvent en relation directe avec l’administration centrale sans que les services déconcentrés de l’État soient toujours consultés, ni même informés.

La structure du groupe, qui mêle « des associations satellites, “sœurs” et des “filiales de gestion” » est pour le moins floue : « Alors même que les dirigeants de l’association ne contestent pas la nécessité de clarifier les relations entre les diverses entités de l’ensemble ainsi constitué et de pousser plus loin la consolidation des comptes, les outils nouveaux mis en œuvre ne répondent qu’imparfaitement à ces préoccupations. »

Enfin, au chapitre « Relations avec l’État », de nouveau, les inspecteurs tiltent sur l’insuffisance de la comptabilité, indispensable pour fixer au plus juste les subventions et dotations de l’État.

Rapport éloquent de l’IGAS

Un rapport de l’Inspection Générale des Affaires sociales (IGAS)2 rendu en décembre 1999 est ensuite cité sur le site du Groupe SOS : « L’activité et le service rendu aux publics concernés sont incontestables. » Le Groupe SOS se garde bien de préciser que c’est celui de la Cour des comptes qui l’a motivé. Et ils sont un peu énervés les inspecteurs car « la règle de l’improviste n’a pu être respectée » : l’association a été prévenue.

Jean-Marc Borello aime à répéter qu’il a appris la gestion d’entreprise en lisant un Que-Sais-Je, du temps où il était patron du groupe Régine (boîtes de nuit et restaurants). Apparemment, il en a saisi toutes les subtilités :

Ce manque de clarté et de rigueur dans la présentation des relations entre les diverses entités de l’ensemble est d’autant plus étonnant que les équipes du “groupe SOS” font preuve par ailleurs d’un savoir faire particulièrement sophistiqué, notamment dans la conception et la présentations des clés de répartition des charges au sein des membres constituant le GIE Alliance Gestion.  (p. 6)

« Difficultés considérables entre SOS Drogue international et les DDASS »

De par ses activités, le groupe SOS est amené à travailler avec les institutions publiques, et en particulier les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS), intégrées depuis dans les ARS (Agence régionale de santé). Constatant la « concentration du pouvoir décisionnel », les inspecteurs de l’IGAS soulignent que « cette organisation centralisée [...] est à l’origine de difficultés considérables entre SOS Drogue international et les DDASS. » (p. 23)

Choix du personnel d’encadrement, demande de subventions : le directeur général Jean-Marc Borello joue de son réseau politique, qu’il a commencé à construire du temps où il travaillait à la MILT (Mission Interministérielle de contre la Toxicomanie) . Toujours au même chapitre (p24) :

En outre, certaines DDASS constatent avec regret le manque de transparence avec lequel l’association travaille. [...] Cette opacité dans la gestion de certaines structures et certaines anomalies comptables constatées ont conduit plusieurs DDASS à saisir une demande d’enquête d’autres administrations.

La politique d’expansion par reprise d’association n’est pas épargnée (en gras dans le texte) : « On ne peut que s’étonner du changement permanent de périmètre et de dénomination des structures, associations, groupements d’intérêt économique et sociétés commerciales composant le “groupe SOS”, qui rend, de fait, impossible le suivi des opérations financières menées par les différentes entités, en dépit des sommes considérables qui leur sont versées, année après année, directement ou indirectement, par les pouvoirs publics.

L’organisation très créative, au périmètre sans cesse modifié, ainsi mise en œuvre, aboutit à faire échapper au contrôle de l’État le suivi d’ensemble des flux financiers entre les diverses structures composant le “groupe SOS”. »

Le clou est enfoncé à la fin :

Les inspecteurs de l’IGAS maintiennent l’essentiel de leurs conclusions après les réponses du groupe SOS.

Et un rapport de 2005, absent du site

Quelques années plus tard, l’IGVP reprend quasiment mot pour mot ces conclusions, dans un rapport sur SOS DI [pdf], qui ne figure pas sur le site du Groupe SOS :

Soulignés par les rapports de l’IGAS-IGF (1999) et de la Cour des Comptes (1998), certains des aspects négatifs restent inchangés, voire accrus :

“La complexité des montages adoptés pour le Groupe SOS rend extrêmement difficile la lisibilité et le contrôle de leurs opérations par les services de l’État.”

“Cette complexité se trouve accrue par les changements permanents de dénominations et de périmètre des différentes entités.”

Et si le problème des relations avec les DDASS a été réglé, ce n’est pas par la bonne volonté du groupe mais par un changement de politique publique, « avec le transfert des financements de l’État vers l’Assurance Maladie, qui renforce l’autonomie de décision des DRASS et des CRAM. »


Au chapitre bizarrerie, l’IGVP note ainsi des erreurs comptables importantes :

« Les lignes de détails des comptes cumulés pour l’association SOS DI (soit pour l’ensemble de ses structures sur le territoire) font état de manière erronée de subventions très importantes de la part de la MILDT (7,960 Md’€ pour 2001, 4,533 M d’€ pour 2002 et 1,6 Md’€ en 2003) en plus de subventions de 7.626 euros et 20.114 euros en 2002.

La MILDT n’a en effet pas confirmé ces chiffres aux rapporteurs, faisant état globalement de subventions versées aux structures de SOS DI pour l’ensemble du territoire de 2,3 Md’€ et de 1,9 Md’€ respectivement, pour les années 2001 et 2002. Les mêmes types d’erreurs ont été constatées pour les subventions de la Ville de Paris. »

A qui la faute ? Au logiciel comptable a répondu SOS DI. On terminera avec ce passage (p. 107) :

L’analyse précise par les rapporteurs des dossiers comptables concernant les activités financées par la Ville de Paris s’est heurtée à certaines réticences du délégué général du Groupe SOS. De même en ce qui concerne l’examen des procès verbaux des AG et des CA de SOS DI, qui n’ont pu être examinés que sur place, sans photocopies.

Dans la série confiance…


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  1. La dénomination Groupe SOS, récente, n’a aucune valeur juridique. Nous vous invitons à voir leur organigramme pour avoir une idée de l’ensemble de leurs structures. []
  2. disponible uniquement en papier, en se rendant sur place []

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