Adoption et Aide Sociale à l’Enfance: ne pas tout mélanger

Le 30 mars 2011

Les enfants confiés à l'Aide Sociale à l'Enfance ne sont pas tous des enfants adoptables, contrairement à ce qu'affirme l'Académie de médecine. Jean-Pierre Rosenczveig livre ici une explication de l'utilisation erronée des chiffres par le rapport.

Par-delà l’intérêt légitime qu’ils suscitent, les événements gravissimes qui animent la planète écrasent certaines informations et annihilent des débats sociétaux pourtant importants. Ainsi, au-delà des cercles professionnels et militants, on aura peu parlé du rapport sur l’adoption entériné par Académie de médecine en février.  Le titre « Faciliter l’adoption nationale » est tout un programme et rappelle des musiques déjà largement entonnées dans ce pays quasiment par tous les bords politiques.

Les auteurs (Jean Marie Mentz, Adeline Marcelli et Francis Watter) surfent sur la compassion naturelle qu’inspirent les enfants maltraités et ces adultes qui demeurent sans possibilité de déverser leur trop-plein d’amour! Comment ne pas partager la conclusion consistant à vouloir faire d’une pierre deux coups : satisfaire les uns et les autres en recourant à une adoption ?

Utiliser les chiffres et … adopter un discours misérabiliste

Rapidement on dresse bien évidemment le procès de la loi, des administrations sociales et de leurs acteurs, de la justice et des juges qui, sans cœur, ni humanité, multiplient les obstacles à l’adoption. Il suffit de combattre ces résistances pour faciliter l’adoption nationale qui s’effondre d’année en année1. Le bon sens y invite tout logiquement !

Une nouvelle fois le rapport illustre parfaitement le scientisme qui aujourd’hui plus que jamais prévaut dans le champ des questions sociales. Le fait de brandir l’intérêt supérieur de l’enfant, concept clé de la Convention internationale du 20 novembre 1989 sur les droits de l’enfant ne suffit pas à absoudre de toutes approximations ou erreurs.

Ainsi il n’y a pas 20.000 à 30.000 candidats à l’adoption, mais 15.000 d’après le ministère lui-même. Et quel manque de culture institutionnelle que de négliger la décentralisation en souhaitant que le Conseil supérieur de l’adoption gère depuis Paris une question intrinsèquement liée à celle des politiques locales de protection de l’enfance menées par les Conseils généraux. On ne peut pas laisser passer ces approximations de la part de personnes qui critiquent nos institutions et prônent une réforme.

On peut admettre qu’un rapporteur ne connaisse pas un sujet ; c‘est même souvent une bonne démarche que de confier l’analyse d’une question délicate à un œil neuf. Encore faut-il que celui–ci lise, renoue les fils de l’histoire, auditionne, repère les vrais blocages et s’interroge sur les résistances à une politique présentée comme évidente, rencontre des acteurs de terrain dans leur diversité et, tout simplement, teste les bonnes idées qu’en chambre chacun peut élaborer pour résoudre un problème. Rien de cela dans ce travail de l’Académie de Médecine.

Pour ne prendre qu’un exemple tiré de ce document, comment imaginer que les conseils généraux puissent se doter d’un réseau de familles d’accueil bénévoles, choisies parmi les familles soucieuses d’adopter et différentes des familles d’accueil classiques rémunérées de l’aide sociale à l’enfance afin d’accueillir les enfants adoptables ? L’argument est de poids :

Cela permettrait aux candidats de montrer la priorité qu’ils accordent au bonheur de l’enfant et donnerait à l’adoption son véritable sens : donner une famille à l’enfant et non l’inverse.

Rapport scientifique ou discours de convenance ? Chacun appréciera.

Mais il y a bien sûr bien plus grave comme le fait de prétendre que les 260.000 enfants objets de mesures de protection de l’enfance sont, d’une manière ou de l’autre, adoptables. Juridiquement c’est bien évidement faux, mais socialement et psychologiquement, c’est tout autant erroné. Pour l’immensité d’entre eux, y compris pour les 140.000 qui chaque année sont accueillis physiquement par les services de l’Aide sociale à l’enfance, il n’y a pas de maltraitance, mais des difficultés pour les parents à exercer leurs responsabilités d’une manière passagère ou chronique. Et si l’on s’arrête spécialement sur les 140.000 enfants accueillis, ils ne sont pas délaissés, en tous cas, ils sont rarement abandonnés, loin de là : pour la plupart ils vont retrouver rapidement leur place chez eux, auprès de leurs parents.

Un enfant en difficulté est un enfant adoptable? Absurde raisonnement!

En rupture avec l’assistance publique de Saint Vincent de Paul qui recueillait les enfants des rues, mais aussi avec la DDASS de la première partie du XX° siècle (qui se contentait trop souvent d’accueillir un enfant sans se préoccuper de l’essentiel: les relations parents-enfants), le service moderne de l’Aide sociale à l’enfance vise à éviter l’éclatement de la cellule familiale et à empêcher la rupture du lien enfant-parents avec le souci au contraire de le faire fonctionner au mieux en aidant les parents à exercer leurs responsabilités au nom du droit de l’enfant d’être élevé par ses parents. Oui tout enfant a droit à une famille, d’abord la sienne, à défaut une autre qui éventuellement a vocation à devenir la sienne par l’adoption si sa famille biologique est défaillante.

Mme Nadine Morano, éphémère ministre en charge de la famille, faisait déjà des amalgames en estimant que les 26.000 enfants confiés par justice à l’ASE étaient adoptables. Au lieu de pleurer sur le fait que le nombre d’enfants adoptables baisse régulièrement - 2.200 pupilles de l’État en 2010 pour 150.000 en 1900 , 40.000 en 1960, 20.000 en 1980 – on devrait se réjouir du fait que les 820.000 enfants qui naissent désormais chaque année sont plus souvent désirés qu’imposés par les circonstances de la vie, que les aides aux familles, spécialement aux mères célibataires, permettent d’éviter bon nombre de délaissements, et que les soutiens apportés aux familles soient performants. La maitrise de la contraception, les politiques d’accueil de la petite enfance, le statut des parents au-delà la vie commune, tout se conjugue pour réduire les rejets d’enfants et la maltraitance.

En d’autres termes, pousser les feux de l’adoption comme réponse avec un grand R aux enfants en difficulté reviendrait à scier la branche de l’aide sociale à l’enfance sur laquelle repose la protection de l’enfance. J’entends que certains y sont enclins pour réduire les dépenses des départements en matière d’ASE qui nationalement et en données consolidées s’élèvent à quasiment 6 milliards d’euros. Plus vite et plus souvent adoptés, moins onéreux ils seraient pour les finances publiques… D’autres veulent avant tout répondre aux adultes – leurs électeurs – en quête d’adoption en leur faisant « servir » l’enfant qui leur fait défaut.

Reste que l’attente des adoptants potentiels – un enfant de moins de trois mois, de type européen et en bonne santé – ne répond pas aux caractéristiques des enfants sans parents qui sont plus âgés, pas toujours en bonne santé, fréquemment de couleur et en fratrie. En d’autres termes les deux questions contenues dans le terme adoption – offrir une famille à un enfant qui en manque et donner un enfant à des gens qui veulent fonder ou développer une famille – ne se recouvrent pas totalement  sauf dans un millier de cas par an.

Tout cela ne signifie pas que notre dispositif ne doit pas encore et encore être amélioré dans son fonctionnement. Ainsi plus dans l’esprit et la lettre de la loi du 5 mars 2007, plus on suivra de près la situation d’un enfant accueilli à l’ASE, plus on s‘efforcera de faire vivre le lien parents-enfant, et plus vite et au mieux on constatera qu’un enfant est délaissé ou en passe de l’être : un projet d’adoption pourra alors être formé rapidement pour lui.

Préférer une approche au cas par cas

Notre droit civil et notre droit social constituent un équilibre subtil qui ménage toutes les possibilités en tenant compte de l’évolution des comportements de adultes, sinon des besoins enfants. Regardez le cas de la petite Cindy : quand on entame de la prise en charge de l’enfant alors âgée de 2 mois les parents étaient hors jeu- la mère malade, le père n’ayant pas reconnu l’enfant. Dans ces conditions, la famille d’accueil a pu légitimement se poser la question de l’adoption même si initialement elle ne l’avait pas envisagé. L’Aide sociale à l‘enfance elle-même était sur ces bases avant de devoir rétro-pédaler. Le temps ayant passé avec le réinvestissement des parents, l’adoption – en tout cas l’adoption plénière – n’est plus apparue d’actualité. Reste qu’entre temps des liens s’étaient noués entre l’enfant et sa famille d’accueil … comme avec ses parents biologiques.

C’est bien à l’une des décisions les plus délicates à laquelle ils puissent être confrontées que le président du conseil général du Gers et ses services doivent aujourd’hui se colleter : il leur revient de faire fonctionner au mieux les relations de l’enfant avec ses parents biologiques et dans le même temps de lui assurer une certaine sécurité et de veiller au respect de ses attachements.

Comment imaginer des réponses simplistes et linéaires à des sujets aussi complexes ? L’intérêt de l’enfant ne peut pas se définir dans l’absolu, mais au cas par cas. En revanche, si la loi met en exergue les différents droits de l’enfant qu’il faut concilier il ne va pas jusqu’à affirmer, au grand dam de certains, le droit de chacun d’adopter. D’ailleurs je le répète ici, comment pourrait-t-on gager ce droit s’il était consacré légalement ? De la même manière que l’ASE n’est pas un réservoir d’enfants adoptables, on ne peut-pas laisser croire que tous les enfants qui souffrent dans le monde peuvent être voués à une adoption trans nationale et que la fin justifie les moyens comme on l’a vu parfois se dire ou se pratiquer à travers les trafics d’enfants.

Pour couper court à ces rapports dangereux par ce qu’ils véhiculent il serait temps que sur cette question un discours raisonnable et public soit tenu qui évite de faire souffrir ceux qui sont en quête d’enfant et croient à chaque annonce que leur problème va être résolu.  Non, contrairement à ce que déclare l’Académie de Médecine, après nombre de ministres, l’ASE n’est pas une réserve d’enfants adoptables. Ce n’est qu’à la marge que des enfants pourraient se voir proposer l’adoption qui aujourd’hui passent à travers cette réponse.  Tout simplement, il doit être affirmé que l’adoption n’est pas là pour satisfaire le désir d’enfant de quiconque, jeune ou vieux, célèbre ou pas, hétéro ou homosexuel.

Quel(le) responsable politique aura le courage de tenir ce discours ?  Ici comme sur d’autres sujets; nous allons payer l’absence d’un ministre à part entière de l’enfance sinon de la famille.

> Article publié initialement sur le blog de Jean-Pierre Rosenczveig sous le titre L’ASE n’est pas une réserve d’enfants adoptables

> Illustrations Flickr CC Alain Bachellier, Julianito et Dafunkyapax

  1. Si l’adoption des enfants confiés à l’ASE baisse, en revanche l’adoption intrafamiliale dans les familles recomposées se développe. []

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