Quand le CAC 40 joue les espions, ||OSS 117 n’est pas loin

Le 15 mars 2011

L’espionnage est un vrai métier. L’intelligence économique aussi. À force de confondre les deux, Renault a versé dans la barbouzerie. Mais il n'est ni le seul, ni le premier. Illustrations avec Laurence Parisot et Valeo.

Je trouve anormal qu’une immense entreprise comme celle-ci ait basculé dans un amateurisme et une affaire de bibi-fricotin et de barbouze de troisième division.

François Baroin a donné le ton. Mardi sur LCI, le porte-parole du gouvernement a promis que l’affaire Renault ne resterait pas « sans suite ». Le ministre du Budget avait sans doute en mémoire le virage à 180 degrés effectué lundi soir par le PDG du groupe automobile. En quelques minutes, Carlos Ghosn reconnaissait que :

  • les trois cadres licenciés début janvier n’avaient jamais eu le moindre compte bancaire à l’étranger comme il l’avait péremptoirement avancé sur le même plateau
  • le groupe s’excusait et était prêt à indemniser les trois ex-salariés
  • Renault aurait donc été victime d’une escroquerie, conduite par l’un des cadres de son service de sécurité, aujourd’hui placé en détention
  • il avait refusé la démission de son DG opérationnel Patrick Pelata
  • les deux hommes avaient décidé de renoncer à leur bonus annuel 2010 (soit 1,6 million d’euros pour le seul PDG, dont la rémunération annuelle s’élève au total à 8 millions)

Conclusion : l’espionnage est un vrai métier. L’intelligence économique aussi. A force de confondre les deux, Renault et ses anciens des services de renseignement (DGSE, DPSD) ont manié l’intox comme un débutant apprend le nunchaku (aïe, les doigts). A leur décharge, ils ne sont pas les premiers dans l’univers des grands groupes à s’infliger ce genre de supplice.

Une procédure normée et éthique ?

Répétons-le : l’espionnage et l’intelligence économique n’ont rien à voir. Pour une raison simple : si l’Etat se fait prendre les doigts dans le pot de confiture de l’illégalité, il aura toujours les moyens de réparer ou compenser sa perte de crédibilité. Au nom de la notion de souveraineté. Une entreprise aura beaucoup plus de mal à justifier une entorse au droit et aux bonnes moeurs, surtout si elle se pare des vertus de « l’éthique des affaires ».

C’est d’ailleurs ce qui rend la position de Renault indéfendable dans ce dossier. Dans tous les médias, Christian Husson, le directeur juridique du groupe, avait imprudemment avancé l’argument de la morale dans le processus d’enquête conduit pour confondre les cadres supposés corrompus :

Il s’agit d’une procédure parfaitement normée, très rigoureuse et [qui] garantit le respect des principes éthiques édictés par Renault.

Quelle éthique ? Quelles normes ? Quelle rigueur ? On aimerait avoir l’éclairage du « comité de déontologie » de Renault qui a traité l’affaire. L’attitude prudente voire mutique des instances patronales sur cette affaire est assez éclairante. Parlant ce mardi d’une « affaire regrettable », Laurence Parisot s’est contentée de saluer « les excuses à la japonaise » de Carlos Ghosn. La présidente du Medef a pourtant une certaine expérience en matière de barbouzerie d’entreprise, même si elle semble l’avoir oublié lorsqu’elle affirme :

Dans ces cas similaires, on a vu beaucoup de responsables se cacher.

Quand Laurence Parisot faisait espionner ses employés

En novembre 2005, la PDG d’Optimum SA (fabricant de portes de placard basé à Agen, une PME héritée de son père Michel Parisot) mandate l’agence privée de renseignements Kroll. Objectif : confondre les auteurs de vols de matériel qu’elle soupçonne au sein de son entreprise. Comme souvent dans ce genre de mission, Kroll sous-traite à un gendarme reconverti en enquêteur privé, Patrick Baptendier :

Une de ses collaboratrices (de Laurence Parisot) a pris contact avec Kroll, qui me charge d’établir les antécédents police de plusieurs salariés, d’effectuer une surveillance non-stop de l’entreprise (entrées et sorties du personnel et des véhicules et certains mouvements aux abords de l’entrepôt) du 10 novembre 2005 à 20 heures au 14 novembre à 7h45. A cette occasion, nous devons identifier les immatriculations. Le tout bien sûr dans la plus grande discrétion. Personne au sein de l’entreprise ne doit être informé de notre dispositif.

L’enquête ne démontre rien, mais un délégué CFDT va quand même être licencié sous l’accusation de vol. Décision validée par l’inspection du travail, puis cassée par un jugement. Dégoûté par de telles pratiques, l’homme ne voudra pas réintégrer l’entreprise. En mars 2006, Laurence Parisot a revendu la PME à un fonds luxembourgeois.

Quand Valeo utilise une « affaire » contre son ancien PDG

En 2009, la chronique des barbouzeries d’entreprise s’est enrichie d’un nouvel épisode, mettant en cause cette fois-ci le propre conseil d’administration d’une société. L’histoire met au prise Thierry Morin, PDG de l’équipementier automobile Valeo, débarqué en mars 2009 par ses actionnaires pour cause de « divergences stratégiques ».

A l’époque, le scandale éclate car Morin bénéficie d’une clause de sortie de 3,2 millions d’euros. Une somme qualifiée d’astronomique par… Laurence Parisot, alors que l’entreprise vient de supprimer 1600 emplois et affiche une perte de 159 millions sur un trimestre. Emoi dans le landerneau des affaires. Quelques semaines plus tard, Valeo réclame le remboursement du parachute doré et porte plainte contre X pour :

  • vol
  • abus de confiance
  • abus de biens sociaux
  • abus de pouvoir
  • atteinte à l’intimité de la vie privée

Thierry Morin est soupçonné d’avoir fait écouter clandestinement son propre conseil d’administration, au moment où ce dernier discutait précisément des conditions de sa rémunération. Un an après, en février 2010, l’enquête débouche sur un « classement sans suite », « l’infraction n’étant pas suffisamment caractérisée ». Son avocat, Me Olivier Metzner, précise que les micros « visibles de tous » servaient uniquement à établir les procès-verbaux des réunions, histoire d’éviter toute contestation ultérieure. Fin de l’histoire. Une procédure aux Prud’hommes oppose encore les deux parties, Thierry Morin réclamant deux millions d’euros supplémentaires d’indemnités à son ex-employeur.

Ces deux courtes histoires de la saga des grands patrons montrent à quel point les opérations de déstabilisation sont devenues communes dans la vie des affaires. Une situation qui inspire ce commentaire laconique à Me Metzner (habitué des dossiers financiers) :

Je déteste ce milieu où l’on manque surtout d’intelligence, mais pas d’intérêts financiers.

Illustration : photo CC Dunechaser

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