Photographie et presse: entre illustration et confusion

Le 15 février 2011

Laisser les métadonnées dans les photos qui viennent illustrer un article de presse permettrait d'ouvrir de nouvelles perspectives pour le lecteur et surtout de placer la photographie au même niveau que les faits et sources qui composent un article.

Les agences de presse diffusent leurs photos sous forme numérique. Et depuis maintenant une vingtaine d’années, chaque fichier image fourni aux clients contient la description textuelle de la photo1 .

Cette technique est supportée par tous les systèmes éditoriaux en usage dans les médias (print ou web) qui reçoivent des photos d’agence. Par ailleurs, au cas où le média ne serait pas équipé d’un tel système, il existe de nombreux outils peu onéreux ou même gratuits qui permettent d’exploiter très facilement ces légendes encapsulées dans les images. L’avantage de ce procédé est évident. Le lien entre une image et sa description est toujours disponible et permet au rédacteur de rechercher et d’utiliser aisément et sans erreur les photos d’agence.

Opacité des images

Certains éléments du descriptif inclus dans une photo peuvent être utilisés par le rédacteur et repris dans un article. C’est ainsi que l’on peut parfois lire dans la légende d’une photo publiée quelques précisions concernant la date et le lieu de prise de vue de celle-ci. Ces informations sont souvent importantes quand la photo est antérieure aux événements décrits dans l’article. Dans ce cas en effet le rédacteur signale par ce moyen simple que l’image n’est pas en rapport direct et immédiat avec le contenu de l’article, que la photo ne relève pas véritablement du soi-disant mode documentaire. Elle fonctionne d’emblée sous un régime illustratif que le lecteur doit lui-même interpréter à l’aide des informations rapportées dans la légende.

Le fonctionnement illustratif des photos publiées dans les médias d’actualité a souvent été abordé sur Culture Visuelle et il dépasse évidemment cette mention de la date et du lieu de prise de vue des clichés proposés. Ce billet cependant s’attachera uniquement à ces caractérisations évidentes dont l’oubli, en ce qui concerne les sites d’actualité, est une source de confusion regrettable et parfaitement injustifiable.

Dans le cas des journaux et magazines classiques, imprimés, la reprise de certaines informations spécifiques à une photo comme la date et le lieu de prise de vue est entièrement contrôlée par le rédacteur. Sauf incohérence manifeste, il est très difficile sans ces indications de détecter une photo publiée qui ne soit pas en relation directe et immédiate avec le sujet de l’article qu’elle illustre, comme par exemple une photo d’une ancienne manifestation prise quelques jours avant un papier décrivant une manifestation actuelle. Sur le Web par contre, pour autant que les métadonnées descriptives de la photo n’aient pas été effacées, c’est facilement décelable : comme beaucoup de ses confrères, le site lejdd.fr rend compte des manifestations à Alger dans un article intitulé Des violences en Algérie, signé B.B (avec Reuters). L’article est illustré d’une photo de l’agence Maxppp avec la légende Une manifestation a dégénéré à Alger.

Article du JDD.FR daté du 22 janvier 2011

Or, cette photo date en fait du 7 janvier 2011 comme on peut s’en rendre compte en affichant les informations contenues dans le fichier image. Par ailleurs, elle figure sur le book du photographe Billal Bensalem, postée le 8 janvier.

Informations contenues dans l'image affichées à l'aide de l'outil Jeffrey's Exif Viewer

Mais le Web permet également d’effectuer des recherches de photos similaires publiées un peu partout dans le monde. Comme les agences, fort heureusement pour elles, vendent leur production à de multiples clients, il est facile en quelques clics soigneusement ajustés de retrouver les différentes utilisations d’une photo. Étudiée par Olivier Beuvelet dans un récent billet, une photo prise lors d’une manifestation à Alger a ainsi été publiée le 22 janvier dernier par plusieurs sites (cliquer ici), toujours en relation avec les événements du jour. Tous les sites en question ont manifestement repris et adapté une dépêche et une photo associée fournies par l’AFP, mais tous n’ont pas eu l’honnêteté de mentionner que la photo date du 7 janvier, laissant le lecteur croire qu’il s’agit d’une image prise le jour même. De même, la candidature d’Erik Israelewicz à la direction du Monde (cliquer là) mobilise un nombre très restreint de photos dont certaines remontent à 2005 ou 2008 (sans que cela soit toujours mentionné) tandis que d’autres sont présentées à l’envers.

Embarquer les métadonnées

La présence de métadonnées dans certaines photos et la possibilité de chercher et comparer d’autres instances publiées ouvrent donc pour le lecteur attentif de nouvelles perspectives. Il est bien plus facile qu’auparavant de tenter de comprendre les choix d’images, de déconstruire leur éditorialisation, souvent volontairement masqués par les rédacteurs. Désormais, beaucoup de choix iconographiques discutables et d’approximations éditoriales peuvent se repérer.

On pourra soutenir que ces imprécisions sont de peu d’importance; c’est l’article dans son ensemble qui compte, pas les images. Mais cela signifie alors que l’image est d’emblée conçue par le rédacteur comme une illustration accessoire, réduite à sa fonction décorative. Selon cette conception qui non seulement subordonne l’image au texte mais lui dénie de fait toute valeur informative, la photo n’est jamais traitée avec le même sérieux, la même rigueur dont le rédacteur est supposé faire preuve dans son article. Que dirait-on en effet d’un journaliste qui décrirait ainsi une manifestation récente: « cela s’est passé ce matin, ou peut-être il y a quelques jours, c’est à vous de le découvrir, etc. ».

On pourra rétorquer aussi que la suppression des métadonnées d’une photo d’agence fait partie des prérogatives éditoriales du média, au même titre que le recadrage de l’image, la correction chromatique ou même la retouche. Les métadonnées des images relèveraient de la « cuisine interne » à une rédaction et ne concerneraient pas le lecteur. Au passage, on remarquera que si l’on retient cet argument (ce que je ne fais pas), il n’est guère possible par contre d’interdire à un lecteur de comparer en quelques minutes les différentes utilisations d’une même image, ce qui est évidemment impossible avec les publications imprimées.

Je défends un point de vue exactement opposé. Les métadonnées embarquées sont indispensables tout le long de la chaîne éditoriale et n’ajoutent que très peu de poids aux images publiées sur Internet2 . Le Web permet de conserver ces métadonnées jusqu’à la publication, ce qui n’était pas possible avec le print. Elles apportent alors des précisions utiles au lecteur exigeant. Il existe dores et déjà des outils qui permettent d’afficher ces informations d’un simple clic. Les métadonnées produites par les agences de presse devraient être systématiquement conservées dans les photos publiées. Un site qui prétend traiter sérieusement l’actualité en effaçant systématiquement ces informations est encore englué dans une conception top-down désormais dépassée du paysage médiatique. Il prétend surplomber son lectorat, savoir ce qui est bon pour lui et ce qui ne l’est pas. En bref, il n’a pas confiance en ses lecteurs.

-
Deux billets publiés initialement sur le blog Déjà Vu/Culture Visuelle : Les photos d’agences de presse sur les sites d’actualité, entre illustration et confusion, et, Pour le jdd.fr, les manifestations se suivent et se ressemblent
-
Crédits photo : captures d’écran du jdd.fr ; Library of Congress [Domaine Public]

  1. Il s’agit des métadonnées IPTC/IIM dont la standardisation remonte à 1991, cf. The Information Interchange Model sur le site de l’IPTC. []
  2. Pour aller un peu plus loin sur ces question, lire The Top 12 Myths about Embedded Photo Metadata par David Riecks ainsi que les documents disponibles sur Photometadata.org et Metadataworkinggroup.com. []

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés