Japon: et si la vie ne tenait qu’à un tweet?

Au pays du Pays du Soleil levant, tristement réputé pour son fort taux de suicide, il y a débat sur l'utilisation de Twitter comme outil de prévention.

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L’Agence Nationale de Police a publié récemment les résultats de son étude annuelle sur le suicide au Japon. Selon les statistiques officielles [en japonais, pdf], 32.845 personnes ont mis fin à leurs jours l’année dernière, et on enregistre une augmentation spectaculaire des victimes âgées de 20 à 40 ans ; les motifs principaux [en japonais] invoqués sont les problèmes 1) de santé, 2) économiques et sociaux, 3) familiaux.

Eclairage bleu rue Shinjuku (Tokyo). Photo jediduke

Tristement connu comme l’un des pays développés au taux de suicide par habitant le plus élevé [en anglais], le Japon essaie depuis des années d’affronter le problème, en s’y attelant à tous les niveaux de la société. Les pouvoirs publics et les autres organismes lancent sans relâche des campagnes de sensibilisation et invitent les gens à se tourner vers les centres d’aide chaque fois qu’ils se sentent déprimés ou convaincus que la seule issue à leurs problèmes, ou, souvent, à ceux de leurs proches, est le suicide.

Décider de parler à quelqu’un, réfléchir et définir les causes de leur désespoir, est un pas très difficile que peu de personnes en situation de dépression sont vraisemblablement en mesure de franchir. Pourtant, même s’il ne peut s’agir d’une panacée, d’aucuns pensent qu’Internet pourrait être un outil utile, surtout parmi les jeunes générations technophiles.

À cet égard, Twitter a récemment fait l’objet d’un débat chez ceux qui voient dans son format de 140 caractères un potentiel de contact avec ceux qui cherchent de l’aide mais préfèrent garder l’anonymat et ne savent pas exprimer leur souffrance en phrases longues et bien construites.

Miroir anti-suicide, à Sapporo. photo MJTR (´・ω・)

Yamabe raconte que la nouvelle [en anglais] que l’actrice Demi Moore aurait retenu une femme de se suicider en tweetant un message de 16 mots il y a peu l’a fait réfléchir à la question :

“J’y ai un peu réfléchi et me suis aperçu qu’en réalité prévention du suicide et Twitter pourraient aller de pair.
Avant tout, les relations à travers Twitter sont plus informelles, ce qui facilite l’écriture. Lorsque le sentiment émerge pour la première fois que la vie est décevante ou déprimante, sans pour autant aller jusqu’à vouloir y mettre fin, c’est un stade où ce sentiment pourrait être tweeté – le sentiment qu’on ne peut plus continuer ainsi et qu’il vaudrait peut-être mieux disparaître de ce monde.

On pourrait donc utiliser Twitter non seulement pour la prévention proprement dite du suicide, mais aussi pour inhiber l’apparition de cette étape préalable, la pensée de l’envie de mourir. Pour les suicides résultant d’un désespoir total, si on peut tweeter le désespoir, cela aidera peut-être à s’apercevoir qu’on n’est pas seul….”

“La ligne étroite séparant la vie de ‘l’autre côté’”

Nombreuses ont été les opinions [en anglais] émises sur une question aussi complexe, dans une tentative

d’analyser les implications sociologiques qu’a ‘l’acte de suicide’ au Japon, où il était traditionnellement considéré à une époque comme un acte de courage. Non seulement dans la culture des samouraï mais aussi à la campagne, où il était fréquent que les personnes âgées décident de se ‘retirer’ dans les montagnes [en anglais] plutôt que d’être un fardeau pour leurs familles.

Mais si le nombre de victimes ne va probablement pas décroître, cela signifie forcément que les causes sont difficiles à identifier, et certains blogueurs, comme Ayasan, sont sceptiques quant au pouvoir de Twitter et de l’Internet en général :

“Il y a beaucoup de manières d’interagir en temps réel, comme d’utiliser Twitter ou un chat room, où on ne sait pas qui est en face ni qui vous êtes. Certes il peut être possible techniquement d’identifier l’individu derrière le PC mais en temps réel, c’est quasi impossible. Voilà pourquoi, dans de telles circonstances, je trouve très dangereux que la vie de quelqu’un puisse être confiée à un outil qui permet des interactions aussi libres. […]

J’ai écrit dans un article passé que ‘les mots ont le pouvoir de tuer’. Le choix des mots, l’usage des caractères et la nuance de la phrase entière sont très importants. La personne qui vacille sur la ligne étroite séparant la vie de “l’autre côté” est très sensible et réagit à chaque expression, et prend très vite des décisions d’y aller ou pas. Comment être sûr que la personne avec laquelle on interagit par l’intermédiaire d’un PC agit vraiment de bonne foi ?

Je voudrais féliciter ceux qui croient réellement qu’avec le genre de liens qu’on peut nouer par Internet, l’état d’esprit d’une personne pensant sérieusement ‘je me sens si seul/e que je veux mourir’ peut vraiment être détourné de son but. Ou peut-être manquent-ils d’imagination.
Oui, communiquer par Internet avec un/e inconnu/e peut apporter un soulagement temporaire mais je ne crois pas que cela puisse apporter une idée ou une solution durables.”

Campagne de prévention du suicide. photo titincai. Le texte dit : "Vous pensez à mourir ? Communiquez vos pensées"

“Le web d’aujourd’hui a le pouvoir de connecter”

Si des mesures préventives telles que des barrières et un éclairage aux LED bleues sur les quais de gares (sauter du train est une méthode favorite de ‘mettre fin à soi’) ne se sont pas avérées efficaces contre les suicides, certains considèrent que, à l’ère des blogs, de Twitter et Facebook, les services de réseaux sociaux peuvent être un moyen neuf de contribuer à la solution du problème.
Ikeda Hayato croit au pouvoir des médias sociaux :

“Dans le web ‘à l’ancienne’, la voix de ceux qui souffrent aurait pu rester ignorée, mais avec le web actuel, où les schémas sociaux (relations humaines, relations de données) sont structurées et disponibles, élever la voix peut vous connecter à quelqu’un.
M. Suzuki de Wonder Shake (@Doubles9124), m’a envoyé ces mots par Skype :” Les médias sociaux représentent l’espace où il est possible de générer un processus de décision pour changer une vie”. S’il est possible de prévenir les suicides, ce serait l’usage suprême d’un processus de décision pour changer une vie.
Ce que j’ai trouvé vraiment choquant, c’est que le nombre de suicides augmente chez les 20 à 40 ans. Il est certes impossible de résoudre chaque problème personnel par la technologie mais le web d’aujourd’hui a le pouvoir de connecter et ce serait merveilleux si, par l’usage du web social, la vie ne serait-ce d’une seule personne pouvait changer et être sauvée.”

Billet initialement publié sur Global Voices

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