Frankenstein au pays des images

Le 7 décembre 2009

Pilote de l’excellent blog Devant les images, et un des visualistes les plus sagaces de la blogosphère, Olivier Beuvelet a trouvé matière à exercer sa verve avec l’enquête iconographique du Petit Journal de Canal +, qui révélait mardi dernier qu’un clip de propagande de l’UMP était composé d’images américaines issues de l’agence Getty Images.

Pilote de l’excellent blog Devant les images, et un des visualistes les plus sagaces de la blogosphère, Olivier Beuvelet a trouvé matière à exercer sa verve avec l’enquête iconographique du Petit Journal de Canal +, qui révélait mardi dernier qu’un clip de propagande de l’UMP était composé d’images américaines issues de l’agence Getty Images. Chevauchant l’antithèse d’un parti féru d’identité nationale et de l’origine étrangère des séquences, Olivier dénonce « cette vision Disneyenne de la France » et prend un malin plaisir à moquer un lapsus qui révèle la confusion d’un pouvoir incapable de distinguer la réalité de ses projections imaginaires.

N’éprouvant aucune tendresse pour le parti présidentiel, je devrais partager la bonne humeur de mon camarade. Au moment où la condamnation de la retouche refait surface, au sein même de l’UMP, il y a évidemment un paradoxe assez savoureux dans ce retour de boomerang de la manipulation des images. Tel est pris qui croyait prendre.

Ce n’est pourtant pas la morale que je retiendrai pour cette histoire. Le plus frappant dans le processus pointé du doigt par le Petit Journal, est moins l’origine géographique des images que le principe d’assemblage proprement monstrueux qui leur est appliqué. Au-delà du contexte politique immédiat, cet usage révèle de façon beaucoup plus globale la manière dont on se sert du matériel visuel, et comment on peut faire dire ce que l’on veut à une image, fut-elle une image d’enregistrement.

Il faut se promener dans les allées de GettyImages, aux alentours de la séquence utilisée par le clip de l’UMP, pour comprendre comment sont agencées ces bribes d’une imagerie prête à l’emploi. Comme la chimère de Mary Shelley, constituée de morceaux épars récupérés dans les morgues et les cimetières, ce que l’on fabrique avec ces cœurs et ces reins extraits de leur organisme, ces sourires et ces gestes si artificiels d’avoir été séparés de tout contexte, c’est une créature du docteur Frankenstein, un corps dont la vie n’est qu’apparence, animé de soubresauts plus effrayants que réels.

Mais le plus effrayant est de constater combien cette composition chimérique est parfaitement acceptable, compatible avec notre imaginaire – combien nous sommes accoutumés à aller chercher dans l’imagerie le support le plus élémentaire de nos rêves les plus grossiers. Le clip de l’UMP fonctionne comme un discours de Sarkozy rédigé par Guaino: une enfilade de clichés confondants de morgue, de bêtise et de vulgarité. Toutes les images ne sont-elles pas enfilées ainsi comme des perles, cliché après cliché? N’est-ce pas vraiment ce que nous attendons du visuel, dans son usage public le plus répandu: non pas la révélation du vrai, pas même une information, mais juste la confirmation de notre sottise et de nos préjugés, sous la forme d’un monstre de pacotille?

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