Nos journaux télévisés montrent à quel point les écoliers japonais sont entraînés à s’abriter sous leurs tables de classe dès qu’une secousse s’annonce. Ils évoquent aussi l’excellence des constructions anti-sismiques, en nous disant que les japonais sont toujours prêts à l’éventualité d’un tremblement de terre majeur ou d’un monstrueux tsunami. Mais cela va plus loin à mon avis. Par des récits de science-fiction surtout, les Japonais se sont aussi préparés psychologiquement. Et cette préparation par l’imaginaire fantastique n’a pas de destination pragmatique, elle ne dit pas comment se comporter pendant une catastrophe, elle établit la fatalité de la catastrophe.
Bien entendu, pour produire des catastrophes crédibles, des récits “habités”, il faut aussi que l’idée de l’éventualité d’une fin du monde soit bien ancrée dans l’esprit des auteurs de ces récits, ils faut qu’ils y croient eux-mêmes pour y faire croire.
Marshall McLuhan disait que la bande dessinée est un média “froid”, c’est à dire un média qui réclame un effort conscient à son public et implique, en contrepartie, une certaine distanciation. Et ce n’est pas faux. J’ai pourtant connu un authentique sentiment d’effroi à la lecture de deux bandes dessinées, Dragon Head, par Minetarō Mochizuki et Ardeur (1980), par Alex et Daniel Varenne. Or ces deux séries sont des récits de fin du monde. Ardeur est un effrayant voyage dans une Europe ravagée par l’hiver nucléaire, écrit en plein “réchauffement” de la guerre froide. Je reparlerai peut-être un jour de cette série que je tiens pour un chef d’œuvre, du moins pour ses premiers tomes.
Dans Dragon Head, un train se retrouve prisonnier d’un tunnel à la suite d’un séisme. Trois collégiens — deux garçons et une fille — survivent et essaient de quitter l’endroit et de comprendre ce qui est arrivé au Japon, apparemment victime d’une catastrophe majeure. Les divers protagonistes rencontrés au cours du récit connaissent tous les états de la peur : les uns se montrent pragmatiques, les autres basculent dans la folie complète. Personne ne sait rien, le pays entier est plongé dans les ténèbres, isolé du reste du monde.
Même Ponyo sur la falaise (2009), de Hayao Miyazaki, qui a les apparences d’un conte pour enfants inspiré de la petite sirène d’Andersen, et qui est souvent présenté comme un des films les plus légers de son auteur, constitue à mon avis une lugubre évocation de l’absence, de la mort, du désastre, et de la violence du rapport de l’homme à la nature. L’héroïne qui donne son titre au film est la cause d’un tsunami qui noie une petite ville côtière. Si le spectateur choisira de croire que les pensionnaires d’une maison de retraite immergée sont sauvés de la noyade par un abri sous-marin plus ou moins magique, il n’est pas interdit de ne voir dans cette intervention qu’une fantaisie consolatrice.
Je trouve intéressante l’image qui suit, enregistrée sur une chaîne d’informations en continu il y a quelques heures. Confronté à l’impensable, le témoin des effets du désastre se sent projeté dans la fiction :
On pourrait bien sûr parler aussi de la manière dont les Américains, autres familiers des catastrophes (tornades, séismes, inondations), ont toute une production cinématographique notamment, autour de ce thème. Ce qui ne concerne pas que les désastres naturels, d’ailleurs : l’accident de la centrale de Three Miles Island avait été décrit par avance dans le film Le Syndrome Chinois, et on aurait du mal à dénombrer toutes les images prémonitoires des attentats du 11 Septembre 2001 qui ont été inventées pour des fictions.
Et ici, en France, au fait ? À quoi nous préparons-nous ?
À quoi ne nous préparons-nous pas ?
(article que je dédie à Julien, Claude et Hajime)
Billet initialement publié sur Le dernier blog
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Crédits photo: Flickr CC DVIDSHUB
Nombreux sont ceux qui pensent que le suicide de Mishima est hautement symbolique de la psyché nipponne: il serait la rémanence des pratiques de certains soldats – parfois même des civils – préférant la mort à la capitulation pendant la Deuxième guerre mondiale, durant la bataille de Saipan par exemple. Au fil des décennies, cette image sacrificielle a perduré. Avec la catastrophe qui frappe l’archipel depuis quelques jours, elle se dilue dans une commisération déplacée. “Les kamikazes du nucléaire sacrifient leur vie”, titrait mardi 15 mars Le Figaro en évoquant les liquidateurs de la centrale de Fukushima. Comme si les cinquante techniciens qui essaient tant bien que mal de rétablir la situation allaient précipiter des hélicoptères chargés d’eau sur les parois de l’enceinte de confinement. Ridicule. Et faux.
À lire ces analogies, il existerait un déterminisme japonais, une conscience collective de la discipline, du calme et de la rigueur, qui se manifesterait autant dans le quotidien des keiretsu que dans la fureur d’un événement cataclysmique. Pire, cet élément structurant caractériserait autant l’île que Sony, Toyota ou Yellow Magic Orchestra (les Kraftwerk locaux). Dans les heures qui ont suivi le séisme d’une magnitude de 8,9, l’un des plus importants du siècle, les médias ont presque unanimement loué l’organisation nipponne, l’absence de panique, de pillages, de mouvements de foules. Idem après le tsunami. Et quand survient un incident nucléaire de niveau 6, probablement le plus grave depuis Tchernobyl, ils chantent encore les louanges d’un peuple serein face à l’apocalypse, comme si 127 millions d’habitants allaient attendre stoïquement la fin du monde, les mains jointes et le port altier.
Mais ce n’est pas un quelconque esprit de corps qui est inscrit au patrimoine génétique des Japonais, c’est la culture du risque qui est inhérente à la géographie du pays. Ou alors, est-ce une culture de la catastrophe, distinguo intéressant fait par Slate.fr ?
La culture de la catastrophe, ou culture du danger, a un côté fataliste au sens où elle suppose que les catastrophes se produiront de toute façon et qu’il faut les accepter, alors que la culture du risque est à l’opposé même de l’acceptation.
Qu’ils habitent Tokyo, Sapporo ou Okinawa, tous les Japonais sont préparés aux caprices de la nature, comme en témoignent les séries d’exercices antisismiques menés chaque année. Sensibilisés dès le plus jeune âge, les habitants ont moins développé un sentiment de résignation qu’une capacité de résilience. Dans Le Monde du 16 mars, Hayao Miyazaki, le célèbre réalisateur du studio Ghibli, explique très simplement ce phénomène, et dégonfle la charge quasi-mythologique des analyses :
Il y a beaucoup de typhons, de tremblements de terre au Japon. Il ne sert à rien de faire passer ces désastres naturels pour des événements maléfiques. Ils font partie des données du monde dans lequel nous vivons. Je suis toujours ému quand je viens à Venise, de voir que, dans cette cité qui s’enfonce dans la mer, les gens continuent de vivre comme si de rien n’était. C’est une des données de leur vie. De même, au Japon, les gens ont une perception différente des désastres naturels.
Quand Philippe Pelletier, géographe à l’université de Lyon-II et spécialiste du Japon, estime que le pays “donne une leçon de sang-froid”, l’article ne peut s’empêcher d’étoffer son verbatim d’une lecture légèrement biaisée, dont la formulation exalte une sorte de patriotisme qui oblitère l’individu. “Face à l’épreuve, les Nippons respectent à la lettre les consignes, et se soumettent au destin avec un civisme et une entraide qui forcent l’admiration”, peut-on lire. Bien sûr, une telle appréciation témoigne d’une empathie certaine à l’égard des Japonais, mais elle tend à faire croire que ceux-ci s’en remettent à l’intérêt supérieur de la nation plutôt que de s’abandonner à la peur.
C’est probablement une erreur. A l’instar de cet expatrié français qui exprime sa colère contre des autorités dont la communication se fait chaque jour plus erratique, un nombre croissant d’habitants de l’archipel s’inquiètent de l’évolution de la situation. Hier soir, un de mes amis tokyoïtes exprimait une opinion que peu de commentateurs semblent avoir prévu dans leurs calculs prédictifs : “J’ai envie de quitter le pays”.
Quelques minutes avant l’effondrement de la vague et le déferlement du tsunami, les municipalités côtières ont déclenché l’évacuation des habitants. Sur place, plusieurs envoyés spéciaux ont recueilli les témoignages d’un homme, d’une femme, d’un fils ou d’une petite fille ayant dû se résoudre à laisser les moins valides derrière eux. Sur les diaporamas proposés par le Big Picture du Boston Globe, l’immense majorité des cadavres laissent apparaître la main ou le pied légèrement flétri d’une personne âgée. Certains témoins le reconnaissent, “les gens ne faisaient pas attention au sort des autres”. De quoi fissurer quelques préjugés. Mais qui osera les blâmer ?
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En me connectant simultanément sur Twitter et Google Actualités, j’ai pu localiser la catastrophe. Effectivement les mots-clés tendances sur Twitter #prayforjapan, #tsunami, #japon et #Tokyo Disneyland, ont signalé immédiatement les régions affectées et ont affiné considérablement ma recherche. En plus de signaler d’autres pays touchés, les tweetos affichaient également des images partagées via TwitPic.
L’intégration du lien vers l’image dans les tweetos est une fonctionnalité efficace car elle amène directement sur le compte TwitPic du titulaire et donne accès à un corpus d’images regroupées sous le même hashtag. Depuis 2008, le TwitPic Image Share permet le partage des images sur Twitter et propose sur son propre site une recherche de contenu visuel à partir des mots clés & hashtags associés aux photos/vidéos.
Dans le cas du séisme, un exemple des tweetos affichant des TwitPics étaient le hashtag #Tokyo Disneyland avec des photographies partagées par @mrdaps concernant les dégâts à Disneyland Tokyo.
Quant à la recherche des articles sur Google Actualités j’ai repéré dans quelques articles de blogs privés et des sites de presse la réutilisation des photos Twitpic comme les images les plus récentes du séisme. Par exemple l’article “Latest pictures of Japan’s 8.8 magnitude earthquake” sur le site International Business Times est illustré avec des photographies provenant de TwitPic (7 sur 8 images sont créditées “Twitter Users). Curieusement, la réutilisation de ces images amènent à leur léger changement éditorial par exemple, la légende du départ est effacée ou modifiée.
En comparaison avec des premières images partagées en temps réel via Twitpic des sites de presse comme la BBC, la Washington Post, Rue 89, Libération ont proposé des extraits du JT japonais rediffusé par des chaînes américaines, des diaporamas ou bien des photos en grand format, très nettes.
Faute de comprendre le japonais, je n’ai pas cherché les tweetos nippons, par contre on peut retrouver les extraits du JT japonais partagés sur Ustream.
En m’interrogeant sur ma propre démarche, je me suis demandé si Twitter et sa fonctionnalité de fournir l’information en temps réel n’avait pas remplacé la proposition iconographique de Flickr?
La recherche sur Flickr se fait également par mots-clés et les tags les plus utilisés, mais le site ne propose pas de recherche du contenu partagé en temps réel ou des tags tendances. Mais en effectuant une recherche par les tags : japan, earthquake j’ai découvert des séries de photos consacrées au séisme, de belles images en grand format que j’avais déjà vu sur les sites de presse plus tard dans la journée d’aujourd’hui. En voici quelques exemples:
Suite à cette découverte, j’estime que Twitter ou Twitpic n’ont pas remplacé Flickr, c’est l’usage des ces outils qui leur attribue un statut différent. La presse s’est servie des photos Flickr à plusieurs reprises, voir l’article sur ARHV “Tous journalistes?” Les attentats de Londres ou l’intrusion des amateurs. Alors, ce serait peut-être notre manière de rechercher l’image sur le web qui a changé car ce sont des outils proposant des moyens plus efficaces comme les hashtags et les flux de mots-clés tendances qui s’avèrent être le premier choix.
En plus du partage des tweetos comme soutien aux victimes du séisme, plusieurs groupes et pages Facebook ont été crées vendredi sur le réseau social. Les membres de ces groupes et communautés partagent des liens, des images, commentent et participent, mais aucun de ces membres, ni sur Facebook, ni sur Twitter n’a pas pensé afficher et/ou diffuser leur soutien auprès des victimes à travers leur avatar.
Dans les contextes récents comme l’affaire Boris Boillon ou l’assassinat du Ministre des Minorités au Pakistan, l’avatar a été détourné de sa fonction visuelle pour servir à des fins iconographiques sur Twitter et Facebook, voir le billet “L’avatar est-il une image?”. Comment expliquer cet absence du détournement dans le cas du séisme japonais? Plusieurs hypothèses sont possibles, peut-être il n’y a pas d’image éditée et mise en ligne qui peut servir la cause du détournement de l’avatar, ou bien il n’est pas toujours facile de résumer une catastrophe naturelle, de la réduire à une seule figure. Que faire et comment expliquer ce phénomène du détournement? Faut-il aller mener des entretiens auprès des utilisateurs des réseaux sociaux et leur demander d’expliquer leur choix d’avatar?
Suite à cette observation, au moins un point méthodologique semble claire: le choix de l’avatar pour le détourner en image s’opère très vite, il est influencé par un événement national ou international. L’image choisie est souvent affichée comme soutien à un événement d’actualité. Toujours dans le contexte du détournement de l’avatar, le choix de l’image dépend aussi du corpus visuel proposé sur le web.
Cependant, dans le contexte de ce séisme, le corpus visuel est présent, mais peut-être trop vaste pour proposer une figure. Compte tenu de tous ces facteurs observables sur le web qui démontrent ses limites, mais aussi ses avantages il devient possible d’étudier le contexte du choix des images en termes de leur circulation et leurs usages.
>> Article initialement publié sur Image Circle, un blog de Culture Visuelle
>> Photo d’Illustration de l’article : FlickR CC by-nc-sa HisashiToday
À chaque catastrophe est associée une image qui lui servira d’étendard, de représentant sur la scène médiatique. Si cela fait défaut, la catastrophe n’a pas lieu, l’aide internationale ne se mobilise pas, les médias ne trouvent pas de prises graphiques pour faire récit et répercuter le choc, celui des photos
Ces images, choisies dans le feu de l’action, dans l’urgence du scoop autant que des besoins humanitaires, quittent progressivement la scène médiatique et intègrent parfois l’Histoire. Elles figurent alors la tragédie, l’indiquent et la résument, en un cliché. À ce processus de figuration succèdent des transfigurations. Je propose ici d’en étudier quelques cas – de figure – justement.
La transfiguration s’illustre, dans le cas d’Omaira Sanchez par une ascension spirituelle. Cette figure du drame colombien, est en effet en passe d’accéder au statut de martyre. Étonnante trajectoire symbolique de cette petite fille, qui fait aujourd’hui l’objet d’un culte et d’un pèlerinage. Sanctifiée, sa mémoire rassemble, une semaine durant, des foules dans la ville d’Armero, théâtre de la tragédie colombienne.
La sanctification n’est cependant qu’une manière, parmi d’autres, de transfigurer. À l’ascension spirituelle peut ainsi être substituée une ascension sociale, la commémoration rituelle peut laisser place à un oubli tout autant chargé (en puissance) de signifiant. J’illustrerai ces modalités à partir de deux cas proposés par un lecteur de Culture Visuelle.
La petite fille hurlant de douleur s’appelait Phan Thị Kim Phúc, elle fut sauvée par celui qui prenait la photo – Nick Ut – qui l’emmena ensuite à l’hôpital. Grâce à cette image, Kim Phúc, considérée comme un témoignage vivant des horreurs de la guerre, a été nommée Ambassadrice de Bonne Volonté de l’UNESCO (novembre 1997). Nick Ut, quant à lui, reçu le prix Pulitzer et une notoriété internationale. Ses photographies de famille, sa tante et sa grand-mère portant des enfants brûlés, sont troublantes, je me demande ainsi – étrangement – si elles sont sur la cheminée (ou tout autre forme d’autel familial).
La jeune fille afghane, symbole de la détresse d’un peuple, fera quant à elle, suite à sa popularité, l’objet d’une enquête à gros budget racontée dans un docu du National Geographic. Son titre “A life revealed” (Une vie révélée). La retrouver aura détruit le mythe (et surtout le fantasme). Le National Geographic fera, au mois d’avril 2002, une nouvelle première page et c’est un flop commercial. La vieillesse aurait fait son œuvre, la beauté et le regard paraissent plutôt défigurés. Si l’on regarde la vidéo (à la 8ème minute de la partie 2), on voit cette femme, Sharbat Gula, en mouvement. Son port est beau et, à mon sens, son visage même n’a pas la laideur que lui montrent les photos d’elles qui ont été choisies. Sans retouches (thème cher à Culture Visuelle), bien au contraire, on accentue son grain de peau, et son nez. Le regard est là simplement pour faire référence, et contraste. Il s’agit, puisque la magie s’est enfuie, de la transfigurer en la défigurant. Le regard nous observe depuis un visage dévisagé (dans tous les sens du termes).
Cette année, le Time fait le remake : il s’appuie sur le célèbre cliché, en reprend ostensiblement les caractéristiques (pose et posture, habit et lumière). Il produit alors, par un raccourci brutal, un effet de réel massif.
La nouvelle jeune fille afghane, est dévisagée – mais sans artifices cette fois. Il ne s’agit plus d’une simple dégradation, mais d’une mutilation. Ce que 17 ans avaient réussi à entamer, un obus l’arrache en un instant.
Les yeux ne sont plus verts, mais noirs. Les fantasmes sont loin. Place à la (dure) réalité pour mettre y fin. Et qu’est-ce qui nous préserve du réel ? La légende, du Time nous donne la réponse.
Dans le Libération d’aujourd’hui, un article (en accès restreint) montre des photos prises juste avant la guerre d’Indochine. Raoul Coutard est derrière l’appareil et nous montre avant le massacre (“Un million de types vont bientôt défourailler dans cette région et faire pas mal de dégâts” dit crûment Coutard), des photos de jeunes filles vietnamiennes se baignant dans une rivière.
La mise en regard de ces images heureuses et du drame historique qui suivit, nous amène à former le récit d’une tragédie. “On était en train de profiler le bébé aux Américains” dit, en ce sens, Coutard. En effet, ces jeunes filles tout aux plaisirs d’une joie simple de baignade, et cette vision édénique d’un plan d’eau claire dans une forêt tropicale, comment auraient-elles pu survivre à l’enfer du Vietnam ? En fait, s’appuyant sur notre mythologie vietnamienne, ces images sont transfigurées, chargées de toute la nostalgie d’un paradis nécessairement perdu, elles donnent à voir, par leur mise en regard historique, non pas leur bonheur mais sa disparition
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Billet initialement publié sur Catastrophes, un blog de Culture visuelle, sous le titre “Transfigurées”
Les images de ce post, à l’exception de celle de la homepage (CC Flickr exquisitur), ne sont pas sous la licence CC d’OWNI.
À lire aussi sur OWNI “Aisha, icône de guerre”
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“La guerre, c’est parfois facile comme un jeu vidéo. (…) Comme dans un mauvais remake d’« Apocalypse Now », les occupants de l’hélico de type Apache lancent des « yeah » de joie quand leurs cibles sont touchées, et n’hésitent pas à ouvrir le feu sur des hommes visiblement désarmés qui viennent s’occuper des victimes du premier engagement” (1).
En dehors de l’aspect “bavure” et du comportement “enjoué” des militaires américains (qui, pour ma part, ne me surprennent pas plus que ça), ce qui fait sérieusement question est le lien profond entre catastrophes et jeux vidéos.
La première fois que je relevais ce rapport fut quand je travaillais sur le traitement visuel de Tchernobyl. De nombreuses photos du web renvoyaient en effet à des captures d’écran du jeu vidéo S.T.A.L.K.E.R. au principe (très) simple : il s’agit de dégommer le maximum de personnes génétiquement mutées (2). Je surfais alors sur les extraits vidéos, très nombreux sur la toile, et découvrait avec stupeur que c’est certainement l’un des meilleurs moyens de visiter le site de la central désaffectée et de sa ville fantôme mitoyenne Pripyat. Même les personnages principaux sont directement créés à partir de photos d’archives (celles des “liquidateurs”). Ce jeu aurait-il valeur de document ? “Atmosphere, Authenticity & Detailing” sont d’ailleurs des arguments de vente de cette vidéo promotionnelle qui ne cesse de mettre en regard des photos du site (et des personnes) et leur numérisation fidèle dans le cadre du jeu :
Cliquer ici pour voir la vidéo.
La campagne de l’armée de terre française et son fameux slogan “Devenez vous-même” jouait elle aussi, de toute évidence, avec les références (graphiques, rythmiques, musicales et narratives) des vidéogames (et du cinéma). De ce point de vue, un de leur clip à ma “préférence” :
Cliquer ici pour voir la vidéo.
Très récemment, l’ONU et l’ISDR (International Strategy for Disaster Reduction) mettait en place en ligne un “jeu de simulation d’aléas naturels“. Très largement inspiré de SimCity, il s’agit d’aménager des territoires en vue de catastrophes (tsunamis, feux de forêts, tremblements de terre, cyclones) à partir d’un budget limité. La question centrale serait : en quoi une simulation de ce type peut aider à la prévention ? Il s’avère en fait, puisque j’ai (laborieusement) testé l’option tsunami de ce jeu, qu’il s’agit plutôt d’un formatage que d’une formation. En effet, une personne un minimum respectueuse des modes de vie locaux, tenterait tout d’abord d’aménager le site à partir des ressources locales – baraques en bois et dunes en bords de mer. Mais, dans ce jeu, cette démarche s’avère désastreuse. Il s’agit de se mettre au goût du jour, et de produire quelque chose de plus “censé” : des maisons en bétons et des tétraèdres sur le rivage par exemple. C’est nettement mieux ! Finalement il s’avère que la solution la plus efficace et de loin la moins couteuse est de bétonner le rivage avec des baraques en béton, cela joue à la fois le rôle d’habitation et de protection.
La réalité du terrain militaire semble, vue d’avion ou d’hélicoptère, très proche du jeu vidéo et l’on ne saurait alors s’étonner que l’illusion fonctionne et que les commentaires soient similaires à ceux de potes jouant derrière leurs écrans. Les sous-titres correspondent aux commentaires vocaux des militaires.
Voir le diaporama Flickr réalisé par Yoann Moreau
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1. extrait d’un article paru sur Rue89, voir également Keep shoot’n, Keep shoot’n!, de Jean-No : “Les images (…) montrent bien à quel point une vision lointaine — on voit les corps et les mouvements mais on ne distingue pas les visages ni même la nature des objets de manière précise — rend possible les actions les plus inhumaines.”.
2. Serait-ce un moyen de se débarrasser de ces monstres qui hantent nos imaginaires irradiés ?
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> Article initialement publié sur le blog “Catastrophes” de Culture Visuelle
]]>Les réactions ont presque immédiatement surgi en ligne, à commencer sur Twitter. “Forte réplique ! Merde !” a écrit @carelpedre (le journaliste de radio Carel Pedre) depuis Port-au-Prince. “Réplique majeure, juste en ce moment …ça m’a l’air d’une force cinq ,” a écrit @troylivesay (le travailleur humanitaire Troy Livesay), presque simultanément. “Je suppose qu’on a pas besoin de réveil quand la terre tremble et vous réveille comme si vous êtiez en retard pour un rendez-vous urgent ” a commenté @olidups (Olivier Dupoux). La réplique a aussi été signalée par @bibinetallez (Fabiola Coupet) à Petionville et @yatalley (le blogueur Yael Talleyrand) à Jacmel.
@RAMhaiti (musicien et propriétaire d’hôtel Richard Morse) a été plus prolixe :
Les gens hurlaient aux alentours…J’ai entendu ce qui semblait être une construction s’écrouler
Plus tard dans la matinée, des nouvelles des nouveaux dégâts ont été publiées. @troylivesay : “Encore des maisons et des immeubles écroulés à cause de la réplique de ce matin. Encore plus de monde à la rue à nouveau ce matin ” @RAMhaiti a ajouté: “Un ami journaliste est allé dans la zone Carrefour Feuille après la réplique de ce matin. Dit que ce k je croyais être un immeuble qui s’écroule était plusieurs petits ”.
On a dit aussi que l’accès a internet était devenu impossible, mais on ne sait si cela a été provoqué par la réplique. @troylivesay a juste remarqué “plus d’internet”, et @JoyInHope (association caritative à Jacmel) : “Pas d’accès via AccessHaiti à #Jacmel mais nous avons accès à iChat par satellite. L’information va être lente et rare aujourd’hui.”
Les blogueurs sur place à Haïti décrivent aussi la réplique et son effet sur les nerfs des habitants. Ellen in Haiti, une Canadienne qui travaille pour une organisation caritative dans le village de Fond des Blancs, a écrit :
Il est 6:15 et tout le monde est dehors dans la cour. Nous venons de subir une très forte réplique qui a duré environ 10 secondes. Comme d’habitude, nos pensées vont droit à Port-au-Pince où tout est si instable.
J’étais assise à la table de la cuisine en train d’écrire des e-mails et j’ai senti quand ça a commencé, je m’attendais à une autre petite réplique. Ça a grandi en intensité, ça ne s’arrêtait pas, alors j’ai crié pour appeler Nancy et nous avons couru dehors.
Les gens avaient juste commencé à respirer hier, ils travaillaient à l’intérieur des maisons ils dormaient dedans. Maintenant, ils vont de nouveau rester dehors.
BuxmanHaiti, qui elle aussi travaille pour une association caritative à Port-au-Prince, exprime une angoisse certainement partagée par beaucoup:
Je suis si fatiguée. J’ai si peur que ce deuxième séisme ait provoqué d’autres dégâts et d’autres morts. Je suis sure que la clinique va être débordée aujourd’hui…Ce matin durant le tremblement de terre j’ai sauté du lit en j’ai couru en hurlant “sortez, sortez” comme si les gens ne savaient pas qu’il fallait faire ça!
Sur le blog The Livesay [Haiti] Weblog, Troy Livesay commente:
C’est la réplique la plus forte qu’on a eu. J’ai regardé sur le Net et j’ai vu qu’ils disaient que c’était une 6.1. Je ne peux même pas décrire à quel point tout le monde est terrorisé…Ces répliques ramènent tout à la surface. Je suppose que de nombreuses constructions qui tenaient par un fil sont par terre maintenant. La réplique a duré environ 15 secondes. Le premier tremblement de terre avait duré largement 45 secondes. Chaque fois que quelqu’un ouvre le portail d’entrée (il fait beaucoup de bruit) on saute sur nos pieds pour sortir de la maison.
Mais peu après, il annonçait une nouvelle tentative pour amener les blessés à la clinique que son association gère. Pour beaucoup de personnes à Haïti, le nouveau choc de la réplique de ce matin a déjà été surmontée par l’instinct de survie et de surmonter la catastrophe de la semaine dernière.
Le dossier spécial sur Haïti de Global Voices est ici.
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]]>Dans le domaine de la communication de crise, on peut aisément distinguer deux catégories d’analyses : lorsqu’il s’agit d’une entreprise – devant faire face ou mettre en place une communication de crise – la littérature sur le sujet pointe surtout les “dangers” des nouveaux médias en terme de vitesse de propagation des rumeurs et l’importance – pour l’entreprise – de réagir en temps réel, et en utilisant les mêmes canaux d’information/désinformation, soit les sites de micro-blogging, de réseaux sociaux, etc …
Lorsqu’il s’agit en revanche de communication de crise dans un contexte humanitaire, et tout particulièrement depuis l’avènement de Twitter, le traitement de ces nouveaux outils de communication en temps réel est largement salué et plébiscité, quand il ne vire pas franchement au panégyrique.
De fait, l’instantanéité de la transmission, la faculté de tisser des réseaux transcontinentaux temporaires mais exceptionnellement denses, la capacité d’entonnoir financier de ces services capables de drainer des fonds plus naturellement que ne le ferait n’importe quelle ONG, de fait cet ensemble de propriétés des sites communautaires contributifs ou simplement participatifs est une opportunité remarquable dans un contexte de catastrophe naturelle.
Le drame qui touche Haïti nous en offre quelques exemples.
CHAPITRE PREMIER : TREMBLEMENTS MOTORISÉS
Google et Haïti : tremblements motorisés. Le premier exemple est celui de la société Google qui met en place un site dédié : http://www.google.com/intl/fr/relief/haitiearthquake/, site dédié accessible grâce à un lien présent sur la page d’accueil du moteur, dont la légendaire sobriété n’est que très exceptionnellement dérangée. Les stratégies d’aide de Google se déclinent en trois points :
Et puis il y a le widget “Person Finder”, aisément téléportable sur n’importe quel site, et qui permet de nourrir en temps réel une base de donnée publique des personnes disparues ou recherchées. Un Widget qui fonctionne avec deux entrées : “I’m looking for someone” ou “I have information about someone”.
L’offre est là. Demande. Au-delà des offres de téléphonie gratuites pour Haïti, proposées par Google Voice comme par un très grand nombre d’autres opérateurs (SFR, mais aussi les autres), au-delà des dons pas SMS proposés là encore par la quasi-unanimité des opérateurs télécom en partenariat avec nombre d’associations caritatives, au-delà des donations des entreprises elles-mêmes (Google donnera 1 million de dollars), c’est la mise en place de ce widget “Person Finder” qui me semble peut-être la plus “signifiante”, la plus caractéristique.
Du panoptique au pancatalogue. En pareil cas de mobilisation planétaire, qu’elle soit liée à des actes de terrorisme ou à des catastrophes naturelles, les médias (anciens ou modernes) se sont fait une spécialité de l’organisation de panoptiques 24h/24h, panoptiques dans lesquels défilent – parfois jusqu’à la nausée – les mêmes images, les mêmes vidéos amateur, les mêmes montages. Les “nouveaux” médias, dont Google, ne sont naturellement pas exempts de cet habitus. Mais là où les médias “traditionnels” n’ont, pour sortir de leur propre panoptique, que les ressources de l’infographie et du commentaire journalistique (ressources rapidement épuisées), Google (et d’autres, mais Google surtout …) a la possibilité de cartographier en temps réel, a la possibilité de construire ce pan-catalogue des victimes, si nécessaire même s’il ne concerne “que” ceux qui sont “étrangers” à la territorialité de ce séisme et le regardent de loin en y cherchant un proche, un ami, un membre de leur famille.
Clair-obscur technologique. Clair obscur ou plus exactement mise en abyme. D’un côté la coupure télécommunicationnelle. Plus rien ne fonctionne à Haïti. Ni internet, ni téléphone, ni radio, ni télévision. Le black-out. De l’autre, la surenchère télécommunicationnelle : SMS qui explosent (pour la bonne cause …), espaces de téléphonie “vers haïti” bradés et offerts (pour la bonne cause encore), mobilisation technologique exceptionnelle de l’ensemble des acteurs et industries technologiques. Là-bas soudain plus de télévision. Mais là-bas, presque tout de suite toutes les télévisions d’ici. La technologie, l’industrie médiatique au secours d’elle-même. Ou peut-être aussi au chevet d’elle-même.
De la réponse à l’échelle à la réponse à la carte. En pareil cas de catastrophe, seul des états avaient capacité à fournir des réponses “à l’échelle”. A l’échelle par la mobilisation des moyens humains (civils et militaires) et financiers directement mobilisables. Cette proportionnalité reste naturellement valable à la différence près qu’aujourd’hui et notamment grâce à l’un de leurs principaux hérauts (les moteurs de recherche), à la différence près qu’aujourd’hui les industries lourdes de la technologie (télécommunications au sens large) ont elles aussi la capacité de fournir une réponse à l’échelle. Mais – et la nuance me semble de taille – elles peuvent surtout fournir une réponse “à la carte”. A l’évocation de la difficulté des secours pour localiser les victimes, sous les décombres ou bien dans l’état de chaos qui suivit la catastrophe, on songe naturellement aux immenses potentialités de la géolocalisation systématisée. Et l’on s’efforce tout aussitôt de penser à l’immensité de ses dangers au regard des libertés publiques.
CHAPITRE SECOND : SECOUSSES SYNTAXIQUES.
Twitter et Haïti : secousses syntaxiques. Vétéran du cataclysme participatif, le site Twitter n’est naturellement pas en reste pour ce qui est de la situation en Haïti, même si les médias traditionnels semblent – je dis bien “semblent”, je n’ai toujours pas la télé – semblent donc y faire moins systématiquement référence (en même temps c’est vrai que CNN est sur place et … twitte en direct). J’ai déjà eu l’occasion de m’exprimer assez longuement sur l’intérêt et les spécificités de Twitter, dont l’une des clé de voûte est sa cohorte de Hashtags et la syntaxe afférente. Car en pareille situation de crise, on touche du doigt la double limite imposée à la fois par la briéveté des messages (140 caractères max.) et le caractère profondément hétérogène (et hétérarchique …) desdits hashtags. Si l’on veut pouvoir aller “ensemble” à l’essentiel, c’est à dire en l’occurrence porter assistance de manière coordonnée, est-il possible de se reposer entièrement sur une hypothétique sagesse des foules concernant la mise en oeuvre de Hashtags dédiés ? Certains semblent penser que non. D’où l’initiative du projet EPIC (derrière lequel on trouve deux universités et la NSF), de lancer et de propager une syntaxe spécifique à la catastrophe en Haïti. Cette syntaxe comporte trois catégories de tags :
Signalons enfin qu’un Wiki permet d’enrichir la base de (hash)tags.
Ou comment le fait de tenter de porter secours de manière coordonnée repose la question fondamentale de l’indexation libre ou contrôlée (coordonnée). Sans pousser trop avant la métaphore on remarquera cependant que face à des logiques d’effondrement, l’indexation se réaffirme comme marqueur, comme signal, à la fois comme vestige et comme balise topologique.
Facebook et Haïti : Un grand absent ?
Après Google et Twitter, sites différemment emblématiques, après Wikipédia (dont la page dédiée s’enrichit considérablement sur le modèle établi du palimpseste), le grand absent du paysage reste Facebook dont la page d’accueil reste désespérement sans signe de solidarité apparente. De fait, et mis à part quelques publicités sponsorisées, très peu de signes de mobilisation apparente. Faut-il y voir l’illustration du modèle “fermé” que véhicule Facebook, diamétralement opposé aux logiques ouvertes de Twitter, Wikipédia ou – dans une moindre mesure – Google ?
A lire aussi sur le même sujet :
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]]>Exemples :
Véritable QG d’informations sur la catastrophe, le site collaboratif Ushahidi, d’origine africaine, propose une page spéciale agrégeant de multiples fonctions (infos, aides, incidents, dons, cartes géographiques, zones de soins, flux de population…) alimentée par le web et les téléphones mobiles en plusieurs langues. Il travaille avec l’ONU et de nombreuses autres organisations humanitaires et technologiques. Ushahidi explique ici comment il s’organise.
La page Global Disaster Relief sur Facebook avait dimanche près de 100.000 fans, celle sur le seisme, Hearth Quake Haiti plus de 230.000 membres et celle del’aide plus de 108.000.
Google a mis à la disposition son service Geoye d’images satellites, une page pour venir en aide aux victimes, et une autre pour retrouver des gens.
Global Voices agrège aussi des flux d’informations (textes, tweets, photos, témoignages…) en plusieurs langues.
Le site Dipity propose une frise chronologique des informations (y compris des videos) et Wikipedia tente de rester informée des dernières évolutions en offrant une multitude de liens.
Les ONG utilisent d’ailleurs désormais très rapidement les réseaux sociaux comme ici Oxfam avec Youtube, ou l’Unicef avec Twitter, l’UNDP avec Flickr, ou la Croix Rouge. Apple a également mis à la disposition son service itunes.
Les médias classiques ne sont pas en reste :
Comme le montre Hitwise, les sites des médias traditionnels ont notamment été à l’origine d’un trafic considérable vers les sites de dons pour les victimes.
Des journaux ou des télés ont créé des listes de flux Twitter sur la catastrophe, comme le Los Angeles Times, NPR, le NYTimes ou CNN, qui a recensé près de 70 flux, et qui propose une page web spéciale, comme le Miami Herald.
Comme souvent, l’équipe d’infographies animées et interactives du New York Times a réalisé des documents de qualité : l’étendue des dégats, une carte avant et après le seïsme, un diaporama.
Le site Big Picture du Boston Globe donne en très haute résolution les photos des grandes agences de presse et des reporters du groupe NYTimes.Le LA Times a produit une application flash expliquant les tremblements de terre.
Preneur d’autres exemples si vous en avez, y compris en Europe.
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» Article initialement publié sur AFP Mediawatch
» Illustration issue de l’album Flickr de l’ONU consacré à la catastrophe
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