Pas si intéressants, les secrets de WikiLeaks sur l’Irak

Le 24 avril 2011

En Irak, les révélations de WikiLeaks n'étaient pas aussi bouleversantes que prévu. De nombreux journalistes irakiens sont restés frustrés que des pans entiers soient occultés.

Article initialement publié sur European Journalism Centre sous le titre “The uninteresting Baghdad secret of WikiLeaks” et repéré par OWNI.eu

Tous les liens de cet article sont en anglais.

“Qu’est-ce que WikiLeaks a finalement sorti ?” demande le magazine néerlandais Villamedia dans un article en mars dernier. Deux mois après que trois médias des Pays-Bas ont obtenu les télégrammes de l’ambassade américaine à La Haye, la réponse est décevante : pas tant que ça en réalité, six scoops au total.

En Irak non plus, WikiLeaks n’est finalement pas le grand révélateur qu’il prétendait être. D’immenses attentes étaient apparues quand WikiLeaks avaient annoncé que le sujet le plus important des 250.000 télégrammes diplomatiques qui ont fuité était la guerre en Irak. Moi-même webmaster d’un journal irakien, je m’imaginais déjà croulant sous des montagnes d’informations secrètes. WikiLeaks revendiquait détenir plus de 6.600 télégrammes de l’ambassade américaine à Bagdad et prétendait que plus de 9.000 télégrammes d’autres capitales évoquaient la guerre en Irak.

Ambassade américaine à Bagdad

Les espoirs ont bientôt été anéantis quand l’accès à l’ensemble des données n’a été donné qu’à deux journaux, le New York Times et le Guardian. D’autres journaux occidentaux y ont ensuite eu accès mais ils devaient remplir une série de conditions, fournir le CV des journalistes qui traiteraient le contenu par exemple. La chaine de télévision néerlandaise RTL Nieuws et le quotidien NRC ont ainsi obtenu les télégrammes du quotidien norvégien Aftenposten qui avait reçu l’ensemble des télégrammes d’une source encore floue.

WikiLeaks n’a publié gratuitement que 24 télégrammes de Bagdad. Le nombre est maintenant, en avril 2011, de 32, ce qui reste dérisoire ! Notre journal en Irak est en difficulté parce qu’il ne peut pas acheter le reste des documents, en tout cas pas de WikiLeaks, et Aftenpost a catégoriquement refusé de partager les télégrammes avec nous.

Des pans entiers manquants

Les war logs d’Irak ont été publiés sur Internet gratuitement et en intégralité (à l’exception de certains noms supprimés). De nombreux journalistes irakiens ont pourtant été déçus, notamment parce que des pans entiers du conflits manquaient à l’instar du siège en 2004 de la ville sainte de Nadjaf.

Plus important encore, les logs contiennent des récits qui ne sont pas compréhensibles tout de suite. On peut lire :

TF %%%, during a VCP in AN %%% stopped a car and confiscated %%% x AK-%%% and %%% x possible falls %%%. One male was handed over to local IZP.

Les war logs ressemblent à la lecture à des sortes de formulaires militaires numériques qu’on aurait utilisés pour rendre compte rapidement des événements avec des dizaines d’acronymes nécessitant d’abord de les décrypter (voir la liste). Rendre intelligible des télégrammes militaires est un vrai défi.

On peut chercher dans la base de données des war logs avec des mots clé comme les noms des villes, des mots tels que “torture”, “viol”, ou FAI (forces anti-irakienne, l’ennemi) ou avec des dates. Malgré cela, après avoir essayé de chercher avec des dizaines de termes différents, je n’ai rien trouvé qui ne soit pas déjà connu des Irakiens.

Le Guardian a trouvé deux idées brillantes pour démêler l’imbroglio des logs militaires. La première était de partager les war logs avec l’Iraq Body Count, une organisation basée à Londres qui enregistre chaque mort violente en Irak depuis 2003. Ces comptables des morts ont découvert dans les war logs environ 15.000 civils qui avaient été tués et n’avaient été mentionné nulle part à ce jour. Et alors que c’est absolument énorme, la classe politique et l’opinion publique irakienne n’en ont rien fait.

Le Guardian et sa publication jumelle The Observer ont eu un second éclair de génie quand ils ont décidé de rassembler tous les logs du l’ensemble du pays pour un jour précis, le 17 octobre 2006, et ont montré aux lecteurs les dizaines d’incidents violents qui peuvent se produire en un seul jour en Irak. Cette liste montrait le vrai visage de la guerre en Irak en 2006, l’année la plus meurtrière du conflit. Rien de nouveau pour les Irakiens.

Redites

L’apport des war logs pour la connaissance et la compréhension du conflit en Irak est très limité. Wikipedia a déjà documenté minutieusement la bataille de Falloujah en 2004. Des dizaines de mémoires écrits par des soldats américains, disponibles dans le monde entier sur amazon.com, analysent en détail ce que signifie se battre en Irak. La corruption qui gangrène l’armée américaine et le Département d’État a été documentée encore et encore par des inspecteurs du gouvernement américains et des institutions comme l’American Centre for Public Integrity. Les war logs font pâle figure comparé à de tels efforts.

L’histoire du “cablegate” en Irak est courte, tout simplement parce qu’il n’y a pas d’histoire. D’après les quelques télégrammes publiés, les hommes politiques irakiens n’ont pas dit grand chose de plus entre les murs de l’ambassade que ce qu’ils avaient déclaré plus tôt publiquement.

Les journalistes qui ne suivent pas l’actualité avec les médias irakiens pourraient trouver des télégrammes incroyables, comme celui sur les religieux chiites qui expriment leur totale aversion pour les partis politiques religieux. Mais en Irak, les canaux traditionnels communiquent toutes ces informations.

Pour des raisons que seul WikiLeaks connaît, les 24 télégrammes liés à la guerre donnaient surtout un aperçu peu flatteur des interférences de l’Iran dans les affaires irakiennes, y compris que les cheikhs [ndlr : dignitaire religieux] se voyaient proposer les services de prostituées pendant leurs visites en Iran. Rien de nouveau en Irak ! La raison pour laquelle WikiLeaks a choisi de se concentrer sur cet angle tout en censurant des milliers d’autres reste un mystère.

L’agence de presse AP a rapporté que Julian Assange, le fondateur de WikiLeaks, “avait exprimé une frustration à l’égard du rythme lent de publication des télégrammes” et a affirmé que “publier des fichiers spécifiques à un pays à des médias locaux sélectionné devait les mettre en valeur plus vite”. Notre journal irakien n’a pourtant jamais été approché et nous n’avons pas reçu de réponse à nos demandes pour avoir accès aux télégrammes.

Une des dernières fuites à être publiée était un télégramme à propos du nombre croissant d’Irakiens se rendant au zoo de Bagdad… De mon point de vue, deux mémos de Bagdad sont vraiment intéressants – surtout pour les historiens d’ailleurs – : un révèle que ce qui reste du parti Baas de Saddam a demandé de l’aide aux États-Unis pour être intégré dans le nouveau système politique, et un autre révèle des détails sur les aspects pratiques de l’exécution de Saddam – on sait maintenant avec certitude que c’était une entreprise amateur.

WikiLeaks ne sert pas l’Irak. La guerre dans ce pays malheureux n’a été utilisé que pour vendre plus de journaux dans des pays en paix. Des pays dans lesquels le meurtre de 15.000 personnes ne passerait pas inaperçu dans les médias.



> Crédits Photo : US Department of Defense, cryptome, and Flickr CC mashleymorgan

> Traduction Pierre Alonso

Laisser un commentaire

Derniers articles publiés