Djibouti: la révolution sans médias?

Le 16 février 2011

Une révolution doit-elle être médiatique pour s’accomplir ? Question en suspens. Si l’œil du monde fixe la Tunisie, l’Egypte et l’Algérie, quid du Gabon et de Djibouti où la colère gronde ?

Un président au pouvoir depuis des décennies (et ancien des services de renseignements), soutenu par les grandes puissances en raison de l’importance géostratégique de son pays, en butte à son opposition à quelques semaines d’un scrutin présidentiel joué d’avance et confronté à des manifestations de rue… Vous pensez à Hosni Moubarak ? Zinedine Ben Ali ? Raté.

Prenez la direction du Sud, dans la Corne africaine, où un chef d’Etat se trouve confronté à une situation très semblable. Ces derniers jours, vous n’avez sûrement pas lu une ligne, ni vu une image de la colère qui vise Ismaël Omar Guelleh (IOG), président de la République de Djibouti depuis 12 ans, en piste pour un troisième mandat dès avril prochain (pour pouvoir se présenter, il a légèrement tripatouillé la constitution). Vous n’avez rien vu et pourtant ce n’est pas faute d’avoir dressé des parallèles, IOG affirmant sans rire dès février 2008 dans Jeune Afrique :

JN : Vous avez derrière vous une longue carrière au sein de la Sûreté nationale, et votre parcours, celui d’un homme d’ordre, n’est pas sans rappeler celui du président tunisien Ben Ali. C’est un modèle pour vous?

IOG : Le Président Ben Ali est plus fort que moi, cela ne fait aucun doute ! Sérieusement : la Tunisie est pour nous un vrai modèle, particulièrement dans le domaine clé de la lutte contre la pauvreté.

L’étincelle ? De mauvaises notes aux partielles de droit

Les faits sont têtus. Djibouti compte parmi les pays pauvres de la planète, tout en affichant une courbe de l’Indice de développement humain (IDH) plutôt positive ces quinze dernières années. Des chiffres en trompe-l’œil. Selon le World factbook de la CIA, l’espérance de vie des Djiboutiens (60 ans) place le pays au 186e rang sur 223. Pas de quoi pavoiser.

Pire : les écarts de niveau de vie sont tels entre la majorité des 740 000 Djiboutiens et les milliers de soldats français, américains ou japonais stationnés sur son territoire, que la population cultive un certain ressentiment à l’égard d’une classe politique jugée aussi corrompue qu’inefficace.

Les premiers jours de février, le mouvement de contestation du régime a démarré par un rassemblement d’étudiants mécontents du système de notation en vigueur à l’université. Selon les observateurs de France 24, l’étincelle fut la publication des résultats des partielles du premier semestre de la fac de droit. Sur 180 étudiants, deux seulement ont obtenu la moyenne, la plupart écopant de notes allant de 2 à 4 sur 20.

Certains ont alors mis en cause le gouvernement, accusé de vouloir retarder l’entrée sur le marché du travail de ces futurs diplômés pour ne pas aggraver les chiffres du chômage. D’autres mettent en cause un vaste système de corruption au profit de jeunes, héritiers des barons du régime IOG.

Le samedi 5 février, une manifestation où se mêlent étudiants et lycéens dégénère. Plusieurs villas et commerces sont saccagés. La police intervient à coups de gaz lacrymogène. Certains témoins parlent de tirs. L’opposition djiboutienne basée à Bruxelles recense au moins deux morts, 20 blessés et des centaines d’arrestations.

Arrêté pour “participation à un mouvement insurrectionnel”

Mercredi 9 février, la vague d’arrestations touche le président de la Ligue djiboutienne des droits humains (LDDH). Arrêté par la gendarmerie, Jean-Paul Noël Abdi est inculpé par un juge de « participation à un mouvement insurrectionnel » et incarcéré à la prison de Gabode. Il risque 15 ans de prison.

Dès le lendemain, la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) dénonce cette opération d’intimidation dans un communiqué qui a fait peu de bruit jusqu’à maintenant. M. Abdi n’est pas seul : au moins sept autres personnes ont subi le même sort.

Que faut-il en conclure ?

  • que Djibouti n’intéresse personne, en Europe comme dans le reste du monde
  • que les opposants à IOG ne savent pas se faire voir / entendre
  • que l’information n’a pas trouvé les canaux par lesquels toute révolution du XXIe siècle semble devoir passer, l’image et l’émotion qu’elle véhicule

Les Djiboutiens manquent d’une véritable story-telling révolutionnaire, prête à rendre leurs revendications adaptées à la production des grands networks de l’information. Faut-il en blâmer les intéressés ? Pas sûr, car il est peu probable qu’ils connaissent précisément la situation djiboutienne, minuscule pays confetti frappé par une crise politique et économique.

Comme rival, un homme d’affaires soutenu par Dubaï

Politiquement, Djibouti est un village. Avec ses familles et ses clans, qui structurent la société depuis des lustres et organisent les réseaux de pouvoir. La vie politique se règle à l’heure du Qat, dans les longs palabres de salon où l’élite se retrouve chaque après-midi. Ismaël Omar Guelleh est un Issa du clan Mamassan, originaire du Somaliland. Bien que majoritaire dans le pays, où les Afars représentent la minorité active, les Issas sont en proie à des rivalités internes, tout autant qu’aux soubresauts de la situation en Somalie. Hassan Gouled Aptidon, prédécesseur, oncle et mentor d’IOG l’aurait averti :

Ne te mêles jamais des affaires intérieures somaliennes ou elles te perdront.

Le pouvoir du président Guelleh est donc en proie, comme ses homologues chassés par les manifestations de rue, à une véritable usure du pouvoir où la répartition des richesses constitue un puissant levier. Or, Djibouti n’a pas été épargnée par la crise économique. C’est sans doute cette configuration -des ambitions présidentielles déclarées- qui ont décidé le très riche homme d’affaires Abdourahman-Charles Boreh à quitter le pays fin 2008. M. Boreh avait notamment monté le nouveau terminal portuaire financé par Dubaï, une installation qui tourne aujourd’hui au ralenti.

Depuis quelques mois, Abdourahman Boreh tente de mobiliser l’opinion djiboutienne autour de sa candidature à l’élection présidentielle du 8 avril. Cela suffira-t-il à déclencher un soulèvement populaire, comme à Tunis et au Caire ? L’Union pour l’alternance démocratique (UAD), coalition de plusieurs mouvements d’opposition, a lancé un appel à la manifestation pour vendredi 18 février. Loin de l’oeil du monde.

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Crédits photo via Flickr : Saarab [cc-by--nd] Ismaël Omar Guelleh ; Jean-Paul Noël Abdi, photo de Jean-Loup Schaal pour Owni,

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